Portfolio 1992-1995
Cette période est marquée par un changement de facture de mes travaux: le support de tissu est remplacé par le papier fabriqué à la main ce qui permet l’exploration de procédés variés qui s’ajoutent à la sérigraphie.
Le papier pur coton peut recevoir les encres à tissu, le transfert d’images, le lavis et même le dessin au graphite. La plasticité du papier mouillé permet le gaufrage pour créer des reliefs, il peut aussi être découpé, plié, cousu. Je collectionne des feuilles de formats variés, je rencontre des artistes et des artisans qui comme moi construisent avec du papier devenu matériau, support et surface. Je reste fidèle à l’expression picturale quand d’autres comme Jocelyne Gaudreau produisent des sculptures par le moulage ou la construction.
Papiers gaufrés
Les papiers gaufrés sont faits dans mon atelier. Je prends plaisir au façonnage du papier fabriqué à la main et aux jeux d’assemblage sur des matières répandues par la mer, offertes au vacancier par les après-midi d’été et transportées dans l’atelier; les galets et les coquillages attendent parfois sans espoir de passer au travers le miroir de la métaphore. Combien en avons-nous ramassés sans autre but que le simple plaisir de toucher la forme chaude au creux de la main et de sentir l’odeur d’iode! Ces assemblages évoquent chacun un moment de séjour à la plage, témoignant des reliefs du sable, des couleurs ambrées des algues échevelées, de l’ombre portée qui allonge les formes des galets et de la fragilité de la vie.
Papiers pliés
LES NUAGES
Œuvre proposée à la Galerie du Centre de Saint-Lambert. Le temps changeant les couleurs du ciel et de la mer est rendu par le dessin, le lavis et l’incrustation d’algues et d’objets trouvés sur la plage.
Ici, j’adopte la fabrique de papier Saint Armand où je me procure désormais mon matériau chez des artisans experts.
C’est une composition en relief destinée à l’exposition « Lange, linceul » par le CATQ qui décrit ainsi les œuvres dans son catalogue:
«Toutes les œuvres abordent l’émouvante question du corps humain qui, de sa naissance jusqu’à sa mort sera successivement, dans des buts utilitaires aussi bien que symboliques, tantôt révélé tantôt caché par ces divers tissus rituels qu’on appelle langes, linceuls, suaires, vêtements, etc.»
Je m’étais déjà exprimée avec des tissus sur l’enfance. J’ai choisi les langes du nouveau-né, thème inspiré par les textes de Julien Bigras pour qui l’être humain n’oublie pas son premier souffle. L’œuvre contient l’image transférée d’un nouveau-né déposée au grenier, le lieu de l’oubli.
La main de Lucy
Pendant le symposium Textiles sismographes de 1995, j’ai réuni des artistes du CATQ pour une exposition à la Maison de la culture Marie-Uguay: Carole Gauron, Lise Nantel, Louise Jamet et Jean-Luc Turbide et moi-même autour du thème: « Les dérives du fil ».
J’y ai présenté la série « La main de Lucy » qui achève ce parcours exprimant le climat maritime. Lucy serait la première tisserande qui aurait découvert les ressources des algues séchées. C’est une fiction qui peut nous laisser croire que l’abri et le vêtement ont bien pu apparaître grâce aux fibres souples trouvées au bord de l’eau. J’ai réfléchi aux sources du geste, à son sens. Je montre la filasse telle que les femmes l’ont trouvée et transformée par le tissage. Le contenu des trois images est une modulation des effets de tissage et de pliage rendus avec des papiers coton, des algues et l’image infographique. Le geste de Lucy, capturé par la caméra vidéo, est immobilisé et transféré à la sérigraphie en une multitude de pixels qui reconduisent le point de la tapisserie.
Les éléments sont composés au futur antérieur: l’image infographique capture un geste d’aujourd’hui que je calque par un jeu de l’esprit sur un geste immémorial. C’est une démarche qui veut franchir les limites autobiographiques ou même sociologiques du temps.